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Les Kurdes dans l’optique des Etats : en tant que minorité ?


Par Hishyar  Barzani


La notion de minorité connaît divers usages. Elle se déduit de l’observation des faits sociopolitiques : D’infériorité numérique d’un groupe social par rapport à l’autre, dans une situation de soumission….Elle se trouve dans différents champs scientifiques et acquiert des sens variables suivant le domaine considéré. Le concept de minorité complexe et mouvant ne dispose pas de fondement scientifique ni de base juridique.

On constate à l’heure actuelle un consensus persistant selon laquelle le problème minorité est complexe et difficile. Sur ce problème Tennent Harrington Bagley s’exprime en ces termes: « ….sa vaste signification internationale n’a d’égale que son impressionnante complexité……les Nations-Unies sans définir de manière précise comment le problème de minorité pouvait se manifester, se sont imposés la tache de protection des minorités attribuant de cette manière à la notion de minorité un sens général et universel, dont les caractéristiques fondamentales sont son imprécision et son étendue vague et indéterminée. » 1

En raison de sa position dans l’espace, la notion de minorité est en étroite relation avec d’autres notions comme: peuple, peuple autochtone, communauté, Etat, Etat nation, identité et plus précisément droit et droit international. La frontière entre certaines d’entre elles est vague et imprécise. A partir de quand et suivant quels critères peut-on considérer  une minorité en tant que peuple et vice versa ? Doit-on tenir compte d’un facteur religieux, ou numérique ou autre pour désigner une population en tant que minorité ?

Les Kurdes du Kurdistan septentrional au nombre de cinq millions d’individus sont-ils un peuple ou une minorité ? Les frontières étatiques et le facteur numérique sont-ils les seuls facteurs pertinents, adéquats pour désigner une population comme minorité? Actuellement ces interrogations font l’objet de discussions au sein des Nations-Unies.

Formulé dans l’ordre juridique international le concept de minorité est un concept dogmatique qui rassemble les compromis politiques autour des textes juridiques variés lesquels sont fondés sur des expériences socio-politiques.

On peut aussi bien parler d’une minorité ethnique, linguistique que religieuse ou politique. On ne peut pas aborder de manière uniforme le problème minoritaire dans les différents espaces étatiques. La connaissance des minorités reste tributaire de leur forme d’émergence, de leur force revendicative,….

Le dénominateur commun entre les différentes formes de minorités est l’idée de distinction, de différence, d’opposition entre la minorité et la majorité, d’une manière générale et sans tenir compte des majorités « minorisées »  on peut dire qui dit minorité dit infériorité, différence.

Les minorités sont dans une relation d’échange avec la majorité, cette relation d’échange est souvent dissymétrique  au profit de la majorité. La relation entre une minorité et majorité est souvent empreinte de discrimination s’exerçant à partir des différences de couleur, de langue, de culture….La violence exercée par la discrimination dépend de plusieurs facteurs  comme: les revendications minoritaires, la position géographique des minorités: concentrée ou dispersée….

Le désaccord entre minorité et majorité porte uniquement sur les faits qui sont au désavantage des minorités et constituent un objet de querelle  permanent  entre les deux parties. Il n’existe de minorité qu’en dehors d’une relation qui structure l’ordre social. Donc les membres minoritaires ont conscience de la réalité d’ordre différentiel qui les met dans une situation ressentie comme telle. En d’autres termes un groupe  ne devient minoritaire qu’à partir du moment où il a conscience de l’être. Comme les différentes recherches historiques en témoignent le concept de minorité n’a pas fait l’objet  d’une définition universellement accepté en droit international. Le professeur italien Francesco Capotorti et le juriste canadien  Jules Deschênes l’ont définit respectivement comme:

« Un groupe numériquement inférieur au reste de la population d’un Etat, en position non dominante, dont les membres ressortissants de l’Etat possèdent du point de vue ethnique, religieux ou linguistique des caractéristiques qui diffèrent de celles du reste la population manifestent, même de façon implicite, un sentiment de solidarité, à l’effet de préserver leur culture, leur traditions, leur religion ou leur langue. »2

«Un groupe de citoyen d’un Etat, en minorité numérique  et en position non dominante dans cet Etat, dotées de caractéristiques ethniques, religieuses ou linguistiques différentes de celles de la majorité de la population, solidaires les unes des autres, animées, fût ce implicitement d’une volonté collective de survie et visant à l’égalité en fait et en droit avec la majorité. »3

Aujourd’hui ces propositions sont le pivot des études relatives à l’introduction du concept de minorité dans les systèmes juridiques nationaux et internationaux. Toutefois ces deux propositions n’ont pas fait l’unanimité quant à une définition juridique rigide de la notion de minorité.

Les deux définitions citées ci-dessus, tout en mettant l’accent sur certains aspects d’analyse, en excluaient d’autres comme les caractéristiques socio-historiques et psychologiques propres aux minorités.  

Avec l’émergence de nouveaux Etats, l’idée de l’Etat nation se heurte à la réalité de l’hétérogénéité ethnique, laquelle est une des caractéristiques essentielles du Moyen Orient et engendra la question de la protection des minorités au sein des nouveaux Etats.

D’une manière générale on distingue deux solutions face au problème minoritaire. La première voie est la voie radicale, la violence qui sous ses multiples formes en est la caractéristique principale.

L’extermination physique des minorités est l’une des méthodes radicales dont l’Irak multicommunautaire est l’un des pays prototypes utilisateur de cette méthode. Depuis la création de l’Irak, plusieurs génocides ont été commis contre les kurdes. Avec l’arrivée au pouvoir de Saddam Hussein, la violence contre les Kurdes fut organisée et structurée. Et, c’est ainsi que 180’000 kurdes ont été tués avec l’opération « Anfal » (finale), qui s’est déroulée en plusieurs phases. La disparition de 8000 Barzani en 1983 en est un autre exemple.

L’absence de réprobation internationale efficace, a encouragé Bagdad quant à l’utilisation des armes chimiques. L’utilisation de telles armes ne peut être perçue autrement que s’inscrivant dans la continuité d’une politique visant à l’extermination des Kurdes.

En mars 1988, la ville de Halabja et les régions frontalières furent bombardées à l’arme chimique faisant plus de 5000 morts.

La rectification des frontières, l’expulsion, le transfert et l’échange des minorités sont d’autres voies utilisées par les Etats contre les minorités afin de construire un Etat nation homogène. L’expulsion et le transfert des kurdes constituent d’autres pratiques du gouvernement irakien et se fait de prime abord dans des zones clés, riches en pétrole (comme la ville de Kirkouk) ou stratégiques c'est-à-dire tout au long des frontières.

L’absence d’une mère patrie extérieure et la dispersion des Kurdes en quatre espaces étatiques sont deux éléments essentiels quant à la non utilisation des rectifications des frontières et des échanges des Kurdes par les Etats partageant l’espace kurde.

L’assimilation tant culturelle que physique des Kurdes par les Etats est un autre moyen visant à résoudre le problème kurde. L’intégration et l’assimilation des Kurdes se font aussi par la voie idéologique puisque le Bass Irakien a repris la définition moderniste de l’Arabité selon laquelle l’origine ethnico-raciale et les critères de l’appartenance religieuse, non musulmane ou non sunnite, ne doivent pas entrer en ligne de compte pour définir l’appartenance à la nation arabe donc une mise à l’écart du fait minoritaire au sein de la nation arabe.

Mais comme l’histoire en témoigne, les Kurdes se sont opposées à toute sorte d’assimilation. En Irak, la politique assimilationniste n’a pas été seulement inefficace mais a engendré des effets contraires en ce sens qu’elle a renforcé la prise de conscience des Kurdes en vue de préserver et de maintenir leur identité.

La concentration des Kurdes, le désir de préserver leur identité et le fait qu’ils possèdent un espace géographique propre sont des facteurs essentiels qui ont contribué à l’échec de la politique assimilationniste de Bagdad. L’échec de cette politique nous montre que l’utilisation des méthodes radicales est un moyen inadéquat quant à la résolution du problème kurde.

Au lendemain de la première guerre mondiale, on assiste à la prise de conscience des minorités sur le plan international. La deuxième voie face au problème minoritaire est une voie passive, celle des normes et des règles internationales.

Avec l’émergence de la S.D.N. la protection des minorités commença à être organisée et elle fut l’une de ses préoccupations. Le système de la protection des minorités sous l’égide de la S.D.N. ne fut pas sans lacune. L’une de ses lacunes fut l’absence de son universalité puisqu’on imposait des obligations internationales concernant les minorités à une partie des Etats, des Etats vaincus nouvellement créés ou agrandis. Cette distinction entre Etats non tenus et Etats tenus fut violemment contestée par ces derniers puisqu’ils y voyaient une sérieuse atteinte à leur souveraineté et une violation du principe de l’égalité. La frontière entre petits et grands Etats avait été tracée dès la naissance de la S.D.N.

Une deuxième lacune fut l’absence de moyens coercitifs à la disposition de la S.D.N. En cas de non respect des règles en vigueur par les Etats, les décisions du conseil de la S.D.N. étaient par elles-mêmes dépourvues de sanction. La seule sanction dont la S.D.N disposait fut l’expulsion d’un Etat lorsque celui-ci était membre de la S.D.N. Sous l’égide de la S.D.N. le système de protection de minorité ne donna satisfaction ni aux minorités ni aux Etats concernés.

En 1945, l’O.N.U. prend le relais de la S.D.N. et le problème de la protection des minorités s’oriente dans une nouvelle direction. Dans l’optique de l’O.N.U., la protection des minorités relève du champ des Droits de l’Homme et prend un caractère universel. L’absence de système de protection des minorités au sein de l’O.N.U est dûe à la difficulté de trouver un système adéquat et uniforme pour toutes les minorités.

Le caractère universel des Droits de l’Homme marqua une rupture avec la S.D.N. puisque celle-ci ne prétendit jamais à l’universalisme. Toutefois, une certaine continuité existe entre l’O.N.U. et la S.D.N. Cette continuité est celle des rapports de force. L’Etat est le principal acteur légitime de la société internationale. Celle-ci est dominée par les différents types d’Etats entretenant des relations différentes entre eux. Malgré la diversité des intérêts étatiques, l’évolution des relations internationales se fait presque toujours au détriment des minorités et elle est dominée par le principe d’Etat nation qui constitue le principal obstacle à la reconnaissance des minorités.

Le processus de la protection des minorités depuis la naissance de l’O.N.U. jusqu’à nos jours est marqué par les faits suivants: la multiplicité des lois et des normes internationales, la diversité des interprétations concernant les lois de l’O.N.U., et enfin le caractère sélectif et le décalage entre la théorie et la pratique en est la troisième caractéristique.

La déclaration «universelle» des Droits de l’Homme non plus n’est pas sans lacune. Elle s’inscrit dans un processus historiquement déterminé, évacue tout apport extérieur des autres peuples et contribue à leur aliénation. Cette idéologie implicite des Droits de l’Homme, de part ses origines est le produit d’un héritage occidental qui par certains aspects semble heurter les idées, les traditions et les coutumes d’autres peuples comme ceux de l’Orient. Cette charte mettant l’individu seul au centre de la société exclu par la même toute référence communautaire, comme la famille, le clan, la tribu. Nous ne devrons donc pas être étonné que certaines communautés manifestaient leur réserves par rapport à ces textes et reprochaient à l’occident, sous-couvert de défense de Droit de l’Homme, de s’ingérer dans leur affaires intérieures, d’où l’importance du débat et de la controverse suscités par le concept de devoir d’ingérence.

L’idéologie des Droits de l’Homme reste tributaire de son histoire et déterminée par la pensée occidentale. Aussi ne faut-il pas espérer de la voir élargir son champ de pensée et l’étendre à d’autres aires de civilisation? N’est-ce pas la condition d’universalité authentique?

De part ses origines occidentales la nature de cette charte est telle qu’elle rend l’Etat maître du jeu et met les minorités dans une position bien inférieure à celle des Etats. La position du couple Etat-minorité au sein de l’O.N.U., qui est celle de dominant-dominé, est due au fait que l’O.N.U. est composée d’un ensemble d’Etats. Ceux-ci détiennent le pouvoir produisant des règles et des normes en fonction de leurs propres intérêts et non pas en fonction des intérêts minorités.

On refuse souvent d’octroyer des droits aux minorités en tant que telles. D’une part ce serait sous- entendre la possibilité de privilèges voire de sécession donc ce serait mettre en danger l’intégrité territoriale d’un pays. D’autre part, de tels droits collectifs contrediraient le caractère individuel des Droits de l’Homme.

Le décalage entre la proclamation des Droits de l’Homme - protection des minorités non pas en tant que telles mais en tant qu’individus - et la pratique est frappant. L’imposition du principe de l’Etat nation et l’absence d’un véritable pouvoir international neutre en sont les causes principales.

Le discours minoritaire, conçu comme un obstacle à la construction de l’Etat homogène piétine et est victime des intérêts étatiques. Qui dit Etat dit hégémonie et celle-ci est en quelque sorte inhérente à l’Etat. Les objectifs internes de l’Etat sont basés sur l’homogénéisation des différences donc une seule culture, une seule langue, un seul peuple et un seul Etat….L’Etat devenu le principe suprême de référence, effaçant toutes les autres légitimités est conçu comme un pouvoir capable d’exercer et de justifier n’importe quelle décision et action. Toute résistance ou différence au sein d’un espace étatique est conçue comme une menace contre l’état détenteur du monopole de la violence légitime.

De quelque côté qu’on se place on se rend compte qu’il s’agit là d’une problématique identitaire et nationaliste. La priorité dans le caractère relationnel de ses deux pôles identitaires est donnée souvent à la passion et non pas à la raison. La logique identitaire axant, sa thématique sur le principe suprême qu’est  «l’Etat » exclu et réduit au nom de ce même principe le champ des compromis. La relation conflictuelle entre ces deux logiques identitaires, variant dans la durée et dans l’espace, dépend de plusieurs facteurs comme la position géographique des minorités, la mémoire collective, un partage disproportionné du pouvoir…l’histoire nous a montré que rares sont les Etats cherchant à régler le problème minoritaire d’une manière pacifique.

Quant au principe de l’autodétermination, le secrétaire général U. Thant en septembre 1971 déclara «il est un problème auquel nous  nous heurtons souvent, et qui n’a pas été possible jusqu’ici de résoudre de façon satisfaisante en s’inspirant des dispositions de la chartre: il s’agit du principe de l’intégrité territoriale des Etats souverains et la revendication du droit qu’un secteur important de la population d’un Etat souverain aurait à l’autodétermination, voire à la sécession…». 4

Les propos ci-dessus témoignent bien du fait que le principe d’autodétermination des peuples dans les instruments des Nations Unies est vague et imprécis. Il y a des instruments internationaux qui reconnaissent le principe d’autodétermination mais en  même temps ils limitent la mise en œuvre du principe en général et aux titulaires du droit en particulier c'est-à-dire aux peuples «dépendants». Les peuples qui sont soumis à l’occupation étrangère, à un régime raciste et à la domination coloniale sont des peuples dépendants.

En dehors de ces catégories de peuples, le droit international se montre extrêmement réservé quant au principe de l’autodétermination. Dans une large mesure la mise en œuvre de ce principe reste tributaire des circonstances et des enjeux économico-politiques. Plusieurs facteurs sont communs aux minorités et aux peuples, et parmi eux on peut citer: la différence tant subjective qu’objective, la domination et la discrimination, le combat qui permet aux minorités comme à tous les peuples dominés de satisfaire leur besoin de liberté…il est difficile d’établir une frontière claire entre minorité et peuple puisque ce dernier peut constituer une minorité et vice-versa.

Les Nation-Unis ont toujours ignoré les «peuples minorité». Par ce terme on désigne les minorités qui sont concentrées et possèdent un espace géographique propre.

Les Kurdes ne sont-ils pas soumis à une occupation étrangère ou à un régime raciste? Ne sont-ils pas un peuple et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne doit-il pas leur être applicable? Les Kurdes, en raison de leur répartition en quatre espaces étatiques sont-ils devenus minorités ou «peuple-minorité»? Les réponses à ces questions varient en fonction la position de l’individu.

Les Kurdes possèdent un espace territorial propre qui est à son tour divisé en plusieurs espaces étatiques. Ils sont donc à la fois concentrés et dispersés. La dispersion des Kurdes se traduit par les différentes frontières étatiques, lesquelles constituent les principaux facteurs de leur dispersion dans l’espace. Si l’on tient compte de cette «dispersion-concentration» des Kurdes dans l’espace on se rend compte que le jeu kurde est multi-acteurs avec des positions, des logiques et des politiques différentes.

En raison de cette dispersion des Kurdes en quatre espaces étatiques, ces derniers sont devenus des «peuples-minorité», concentrés dans leur propre espace géographique. Les Kurdes irakiens ayant leur espace propre sont conçus comme un peuple minorité territorial. La territorialisation, le nombre effectif des Kurdes et leur concentration dans un espace géographique propre leur ont permis de se faire positionner dans une position supérieure dans plusieurs domaines.

Le premier domaine est celui de leur revendication. Les revendications minoritaires peuvent varier suivant la position géographique. Les «peuples-minorité» réclament, en plus de l’égalité et la liberté, la reconnaissance de l’originalité de l’espace occupé. C’est le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes que les «peuples-minorité» réclament. Dans la société internationale l’Etat est le seul acteur légitime et les «peuples-minorité» ne peuvent accéder à cette légitimité que par l’indépendance politique. Guy Héraud écrit «dans un monde d’Etats souverains, l’égalité ne peut se réaliser que par l’indépendance politique ou le rattachement à l’Etat homo-ethnique, c’est-à-dire par la «sécession». 5

Sur le plan international le droit à l’autodétermination est rarement approuvé et dans le cas des Kurdes l’application de ce droit est davantage affaibli en raison de la multiplicité des espaces juridico-étatiques. La territorialisation des Kurdes et leur nombre effectif font d’eux des acteurs capables de concurrencer le véritable acteur qui est l’Etat et défient souvent la logique étatique. Ces acteurs sont capables de créer des organisations solides et peuvent mener leurs actions tant sur le plan militaire que culturel…

Conscients de leur position sur l’échiquier géopolitique et de leur marge de manœuvre, les «peuples-minorité» refusent de se considérer en tant que minorité. Ce refus renforce davantage la conscience kurde et leur donne en quelque sorte une nouvelle légitimité. Ils demandent une reconnaissance juridique de leur droit à l’autodétermination.

Les Kurdes en tant que «peuples-minorité» concentrés entretiennent des relations privilégiées
avec leur espace géographique. L’espace Kurde a constitué et constitue encore un fait conflictuel permanent entre les Etats et les Kurdes. Les relations conflictuelles portant sur l’espace entre les pouvoirs centraux et les Kurdes sont de degré et de nature divers et dépendent de plusieurs facteurs comme: la richesse du territoire et la position de ce dernier…

Les Etats ont tendance à rétrécir l’espace minoritaire par des moyens divers tels que: déportation de la population, acculturation…et d’une manière générale ils ont toujours refusé de qualifier les minorités de peuples. Dans le cas des Kurdes, ce refus est davantage renforcé en raison de leur dispersion dans quatre espaces étatiques. La réduction ou le rétrécissement de l’espace s’effectue différemment selon les différents espaces étatiques et prend forme dans un premier temps dans des zones clés, riches, stratégiques, ayant une importance économico-politique. A titre d’exemple, le pétrole Irakien est extrait en grande partie, de plus de 70% du Kurdistan. Les villes pétrolières Kurdes comme Kirkouk, la plus importante en Irak, et celles de Kanaquine, de Ain Zelah (au nord-ouest de Mossoul) font l’objet d’une politique de déportation et d’arabisation systématique.

C’est ainsi que depuis les années soixante, des milliers de Kurdes ont été déportés vers le sud de l’Irak ou regroupés dans des camps de concentration. En réaction à cette politique de l’effacement de l’identité minoritaire, celle-ci s’organise. L’originalité historique et géographique est retravaillée, les évènements capitaux et les dates cruciales prennent une importance considérable de telle sorte qu’ils deviennent le moteur de l’action minoritaire.

La dispersion des Kurdes dans différents espaces étatiques a fait d’eux-mêmes le dénominateur commun conçu d’une part par les Etats comme une menace par excellence menaçant leur intégrité territoriale et d’autre part prend un caractère transnational, charnière entre les systèmes régionaux et internationaux. Cette situation donne à cette région certaines caractéristiques et une structure presque immuable. Cette dernière est caractérisée par la politique d’Ankara, de Damas, de Bagdad et de Téhéran qui consiste à empêcher l’émergence d’une entité kurde autonome. L’une des caractéristiques est la mobilité des Kurdes entre les différents espaces étatiques. Le partage des Kurdes entre ces derniers a divisé à son tour les tribus, voire les familles.

Cette mobilité naturelle pour les Kurdes et illégitime pour les Etats s’effectue différemment (exode forcé ou pas) dans la durée et dans l’espace. Suivant qu’elle a un caractère mixte ou pas (la mobilité est uniquement kurde ou accompagnée en partie directement ou indirectement avec l’un de pouvoirs centraux) elle n’a ni la même importance ni les  mêmes conséquences. Mais quoiqu’il en soit cette mobilité fragilise le principe de l’Etat Nation.

La deuxième caractéristique est qu’en quelque sorte la structure de la guerre froide règne sur cette région avec la différence qu’ici on est en présence de plusieurs acteurs régionaux. Les Kurdes, en raison de leur situation géopolitique et en tant qu’acteurs secondaires sont l’objet d’une manipulation permanente et de cette situation émerge plusieurs faits: dépendance croissante des Kurdes aux Etats, conflits et tensions quasi permanents dans la région, émergence des alliances occasionnelles entre les Kurdes eux-mêmes et entre ces derniers avec les pouvoirs étatiques…

L’absence d’une mère patrie extérieure, le caractère transnational et l’imposition d’un statut minoritaire aux Kurdes ont mis ces derniers dans une position de faiblesse sur l’échiquier géopolitique régional et international. Dans le cas des Kurdes la communauté internationale est en face de quatre espaces étatiques et en raison de la pluralité des Etats dominant l’espace Kurde, elle s’est montrée et se montre encore réticente quant à apporter un véritable soutien aux Kurdes.

La question minoritaire est une question complexe, difficile à résoudre puisqu’il s‘agit de deux logiques différentes, voire contradictoires. Quand l’égalité supposerait l’uniformité, la différence signifierait la discrimination. Il est difficile alors de trouver une formule satisfaisante pour les deux parties antagonistes. Dans le cas des Kurdes cette formule est davantage difficile à trouver en raison de la multiplicité des Etats partageant l’espace Kurde.

L’élaboration historique des lois et des normes concernant les minorités a été influencée par le concept de l’Etat Nation qui est l’obstacle majeur à la reconnaissance des minorités. L’absence d’une définition générale de la notion de minorité est liée en partie aux implications et aux enjeux mêmes de la notion de minorité. Puisque cette notion et ces implications connaissent la méfiance, voire l’indifférence des Etats dont elles peuvent remettre en cause les intérêts et les situations. Tant que le modèle de l’Etat Nation n’est pas repensé, reformulé sur la base d’une nouvelle dynamique pluraliste des démocraties, il continuera d’empoisonner la relation minorité-majorité.

En l’absence d’un pouvoir exécutif neutre international, les différents textes internationaux concernant les minorités n’ont qu’une valeur symbolique et la plupart des Etats qui ont signé et ratifié les lois internationales ne les respectent pas dans les faits.

L’absence d’une définition claire et précise de la notion de minorité nous amène à nous interroger sur le statut même des Kurdes en tant que minorité. Certes, si l’on tient pour critère les frontières étatiques et le nombre effectif des Kurdes ces derniers sont minoritaires au sein des différents espaces étatiques. Mais ces critères sont-ils des critères pertinents pour qualifier une population quelconque de minorité? Ne doit-on pas tenir compte d’autres facteurs pour distinguer une minorité d’un peuple?

Les Kurdes devenus des «peuples-minorité» en raison de leur partage en quatre Etats ont un espace structurel négatif, fermé, voire immuable. Cet espace structurel est structuré par l’ensemble d’Etats donc leur pluralité les mettent dans une position de force au sein de la société internationale et affaiblit davantage les Kurdes puisqu’en même temps ces derniers sont perçus comme des minorités. Dans l’optique des Etats, les Kurdes sont une minorité et «bénéficient» eux aussi de la protection universelle des Droits de l’Homme. L’exode des Kurdes au lendemain de la deuxième guerre du Golfe nous amène à nous interroger sur le système même de la protection des minorités. Ce système est-il efficace et suffisant? La tragédie des Kurdes nous montre que la protection universelle des Droits de l’Homme pour les minorités est inappropriée et inefficace  et qu’un véritable statut pour les minorités est nécessaire et complémentaire à tout accord sur les Droits de l’Homme.




1- Isse Omanga Bokatola. L’organisation des Nations-Unies et la protection des minorités. Edition Bruylant, Bruxelles 1992. p.18

2- Alain Fenet, Directeur, Geneviève Koubi, Isabelle Schulte-Tenckhoff, Tatjana Ansbach. Le droit et les minorités, analyse et texte. Edition Bruylant, Bruxelles 1995. p.253-254

3- Joseph Yacoub. Les minorités: quelle protection? Edition Desclée de Brower. Paris, mai 1995. p.326

4- Isse Omanga Bokatola. L’organisation des Nations-Unies et la protection des minorités. Edition Bruylant, Bruxelles 1992. p.106

5- Isse Omanga Bokatola. OP. cit. p.27