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Abdullah Isshaki, sacrifié pour une alliance suicidaire

                                                                                                                                            Ayoub Barzani


Malgré leurs mauvaises expériences avec ces Etats,
les dirigeants kurdes répètent obstinément les erreurs
du passé. Ainsi le général Mustafa Barzani ne profita
pas des erreurs du général Ihsan Nouri Pacha. Celui-ci
croyait que le soutien de l’Iran à la révolte kurde de
l’Ararat était sincère et stratégique. Les faits ont montré
qu’il se trompait. Face au « péril kurde », Ankara  et
Téhéran s’entendirent et collaborèrent pour mâter la
révolte. Ihsan Nouri Pacha fut contraint de s’exiler à
Téhéran en 1931. Plus tard, le général Barzani emboîta
pratiquement le même chemin, usant de la même stratégie politique et subissant les mêmes échecs. Il fut lui aussi contraint de s’exiler à Téhéran, en 1975. Aujourd’hui, les chefs kurdes ont établi avec les quatre capitales des alliances encore plus contraignantes que dans le passé. Les différentes factions kurdes sont ainsi utilisées les unes contre les autres, et avec quel succès !

Le Parti démocratique Kurde (PDK) déchiré

Examinons par exemple les relations entre le PDK iranien et le PDK irakien. Ces deux partis sont divisés depuis un demi-siècle en deux organisations qui, au lieu de lutter ensemble et de façon cohérente, jouent chacune leur propre carte aux dépens de l’autre. En cela, ils acceptent de fait la division des Kurdes imposée par le colonialisme européen après la première guerre mondiale. En février 1946, un mois après la fondation de la République de Mahabad (22 janvier) le Comité du Parti démocratique du Kurdistan iranien pour les affaires des Barzani en Iran était formé, composé de neuf kurdes irakiens dont Mollah Mustafa Barzani et Hamzah Abdullah. A cette époque, le PDK, présidé pas Qazi Mohamed, possédait même une branche à Suleymanieh (Irak). Il faut rappeler que pendant la courte vie de la République de Mahabad sous la protection des forces soviétiques, les Kurdes irakiens jouèrent un rôle important comme force armée de cette république. Ne pouvant développer une vision à long terme et construire un mouvement unifié englobant toutes les parties du Kurdistan, certains dirigeants kurdes – irakiens – créèrent leur propre PDK, séparé du PDK d’Iran. Mustafa Barzani confia cette tâche à Hamzah Abdullah qui rentra au Kurdistan irakien (Kurdistan sud) deux mois après la fondation de la République de Mahabad. Le journaliste français Chris Kutchera remarque à cet égard : « Barzani consacrait en effet la division artificielle du Kurdistan par la frontière irako-iranienne (qui succédait à la frontière turco-iranienne) et mettait un terme au mouvement unitaire qui était entrain de se développer, avec l’essor de la branche de Suleymanieh du PDK d’Iran. » (in Le Mouvement National Kurde, p.191, Flammarion, 1978)

Le contexte historique

L’entrée de l’armée du Shah, le 17 décembre 1946, dans la ville de Mahabad, marqua la fin de la République. Et le 9 juin 1947, Barzani et ses compagnons se réfugièrent eu URSS, exil qui dura jusqu’en 1958. Membres du Pacte de Bagdad, les trois gouvernements turc, irakien et iranien menaient une politique anti-communiste et anti-kurde concertée. Le PDK d’Iran et le PDK d’Irak étaient contraints à la clandestinité. Le 14 juillet 1958, un coup d’état renversa la monarchie irakienne, et Bagdad sortit du camp capitaliste. Le nouveau gouvernement de Qassem adopta un discours anti-impérialiste qui le rapprocha de l’Union Soviétique. Les Barzani exilés en URSS rentrèrent chez eux triomphalement. En 1959, quelque 250 activistes du PDK iranien se trouvaient encore dans les geôles iraniennes. D’autres membres étaient dispersés, soit en Europe, ou dans la clandestinité en Syrie et au Liban, à Beyrouth ; ils vinrent en Irak, où le PDK sous Mustafa Barzani menait ses activités légalement.
Parmi les kurdes du PDK iranien ayant échappé à la SAVAK (police politique du Shah) et arrivés à Bagdad, se trouvait un jeune homme, Ahmad Tawfiq (alias Abdullah Isshaki), qui établit très vite de bons rapports avec Mustafa Barzani. Le 11 septembre 1961 marqua la fin du printemps entre Barzani et le gouvernement de Qassem, les forces aériennes de Bagdad bombardèrent la région de Barzan et la résistance kurde commença à se transformer graduellement en un soulèvement populaire. La révolte dans ces premières années souffrait d’un isolement total. Pendant que la Turquie, l’Iran et la Syrie fermaient hermétiquement leurs frontières, l’armée irakienne lançait des attaques avec son aviation et ses blindés, appuyée par les mercenaires kurdes («djahsh»). Parmi ces derniers se trouvaient les forces commandées par Mahmoud Agha et Zubair Agha Zibari, respectivement le grand-père et l’oncle maternels de Massoud Barzani, le chef actuel du PDK. Du point de vue économique et militaire le Kurdistan du sud était devenu une terre assiégée, frappée sévèrement par l’embargo économique, médiatique, et sans communications avec le monde extérieur.

L’action d’Abdullah Isshaki

Durant près de cinq ans, la révolte dépendit totalement du soutien de la classe paysanne, qui formait l’armée de résistance. Cette révolte disposait d’un large appui – clandestin mais très actif – émanant de toutes les parties du Kurdistan. C’est une solidarité nationale profonde – tant matérielle que morale – qui a caractérisé cette période historique de la nation kurde. Parmi les forces de la résistance se trouvaient des Kurdes de Turquie, de Syrie. Le PDK Iran était très actif, en particulier son secrétaire général, Abdullah Isshaki. Jusqu’en 1966, la solidarité des Kurdes iraniens s’est manifestée par une aide concrète : argent, vêtements, et surtout par des munitions. A. Isshaki était au cœur de ce travail d’assistance. Grâce à son aide, le premier journaliste européen (Dana Adams Schmidt) a pu entrer au Kurdistan depuis Beyrouth (voir son livre : Journey Among Brave Men). Correspondant du « New York Times », Dana Adams Schmidt accepta l’invitation de A. Isshaki de se rendre au kurdistan. Il écrivit : « Ahmad Tawfiq {Isshaki} est un jeune homme, avec des qualités extraordinaires de courage, patience, gentillesse et surtout intelligent…infatigable…il voulait planter dans le cœur de ses compatriotes son violent amour pour la patrie kurde, ce qui était son rêve et sa religion…. ». A. Isshaki a exercé une influence certaine sur le peuple kurde au cours de la révolte. Selon ce même journaliste, les combattants se réunissaient pour l’écouter et : « A. Isshaki parlait de la révolte, j’ai estimé leur nombre à environ 300 combattants, ils écoutaient avec admiration et intérêt…les sentiments de sacrifice et de sincérité prévalaient clairement chez eux… ». A. Isshaki ne reconnaissait pas les frontières artificielles qui séparent les Kurdes. Pour lui, il n’existe pas quatre ou cinq Kurdistan, mais une seule patrie, et comme la révolte était en plein développement au Kurdistan du sud, il fallait la soutenir. Il croyait que Mustafa Barzani était un leader avec un message historique, et il croyait aussi profondément qu’il était un homme de principe.
Cette croyance lui coûta la vie.
Au printemps 1963 commença la première offensive militaire des partis Bass, principalement contre la région de Barzan et Badinan. L’armée syrienne participait à cette répression de la révolte. L’armée des deux Bass brûlait tout sur sa route, avec toujours le soutien des mercenaires kurdes ; l’armée de Bagdad occupa la chaîne du Mont Piris : tous les villages de la vallée de Rukoçik devenaient la cible facile et directe de l’artillerie irakienne. Les combattants étaient démoralisés, la mort de leurs commandants - Mella Shini Bedaruni – exacerba encore plus cet état de fait. A. Isshaki, dans ces moments de désespoir essayait de remonter le moral des combattants, et avec ses modestes forces, il participa pleinement à la guerre pour contrer l’avance des forces bassistes. Son action permit à des centaines de familles de franchir la rivière pour se réfugier plus au nord derrière d’autres chaînes de montagnes.

Le PDK irakien exigeait de toutes les autres régions kurdes qu’elles soutiennent la révolte du Sud, et qu’elles ne se soulèvent pas contre la Turquie, ni contre la Syrie ou l’Iran. Cette tactique reposait sur l’axiome que si la révolte aboutissait, tous les Kurdes iraient ensuite aider les autres parties du Kurdistan. Le PDK iranien, sous la direction de A. Isshaki, travaillait dans cette optique. D’autres responsables de ce parti considéraient qu’Isshaki menait une politique inféodée à Mustafa Barzani. C’est Mustafa Barzani lui-même qui mit un terme à cette solidarité nationale exemplaire : en 1966, le Shah offre une aide empoisonnée à la révolte kurde, Mustafa Barzani l’accepte.

La tactique du Shah

La stratégie du Shah prévoyait de procéder par étapes : briser la solidarité entre les mouvements kurdes d’Iran et d’Irak, obtenir la collaboration du PDK d’Iraq contre le PDK d’Iran, propager la corruption parmi les dirigeants de la révolte, se servir du PDK irakien contre Bagdad, enfin après avoir obtenu des concessions de Bagdad, détruire le mouvement national du sud. Avec l’aide croissante du Shah, les dirigeants du PDK irakien oublièrent bien vite les services du PDK iranien et surtout l’énorme sacrifice et la loyauté d’A. Isshaki. Téhéran demanda à Mustafa Barzani de livrer A. Isshaki. Mais le livrer à la SAVAK aurait suscité de graves remous au sein des Kurdes du Sud. Plutôt que de le livrer directement à la SAVAK, le chef du PDK irakien ordonna à A. Isshaki de se cacher à Badinan, dans un village de Berwari loin du Kurdistan iranien, Isshaki était traité sans respect et dut s’exiler. Mais les persécutions à son encontre se prolongèrent, les deux fils du général Barzani
– Idriss et Massoud – lesquels traitaient directement avec la SAVAK n’étaient pas étrangers à ces humiliations. Après 1966, le PDK irakien créa son propre service de renseignements (le PARASTIN), cet organe était fortement lié à la SAVAK. Les activités du PDK iranien ne purent continuer au Kurdistan sud. Au printemps 1968, Suleiman Minin, membre du Politburo du PDK d’Iran voulut traverser le Kurdistan iranien. Les gens du PARASTIN l’arrêtèrent et l’exécutèrent, puis livrèrent son corps à la SAVAK. Celle-ci l’exposa dans différentes villes du Kurdistan, y compris Mahabad. Peu après, A. Isshaki se rendit au village de Rézan, où habitait le frère de Mustafa Barzani, Babo. Il demanda à ce dernier la promesse de ne pas le livrer à la SAVAK. Babo, surpris, voulut savoir, ce qui s’était passé. A. Isshaki répondit :
-Il y a quelques semaines, le PARASTIN a tué Suleiman Minin, et a livré son corps à la SAVAK ; les gens de SAVAK disaient aux kurdes regroupés autour du corps : « c’est Mustafa Barzani qui l’a tué et nous a livré le corps . »

Babo, étonné de cet évènement, répondit :
-Je te donne ma parole !

Abdullah Isshaki ajouta :

-Dites à Mustafa Barzani qu’il peut me livrer à la SAVAK, que je suis d’accord, mais contre une livraison d’au moins dix chars pour aider la révolte. Je crois que je vaux plus de dix chars.

-Cela ne doit pas de passer, même contre cent chars. Cet acte est contre toutes nos traditions, s’indigna Babo.

Le lendemain, Abdullah Isshaki retourna dans son exil à Berwari. Mais le PARASTIN du PDK irakien continua à le harceler sans répit. Sa vie était en danger, une nuit il passa à Dohouk, puis à Bagdad où il périt sous la torture des services secrets des Bassistes en 1971.

En 1975, le Shah d’Iran et Saddam Hussein signèrent l’accord d’Alger. Les dirigeants du PDK irakien, totalement dépendants de l’aide du Shah, décidèrent de fuir vers l’Iran. Ils renoncèrent à la révolte qui avait pu durer quinze ans grâce à l’énorme sacrifice des populations kurdes. La liquidation de cette révolte fut aussi facile que celle d’une boutique en faillite. Les deux PDK –Iran et Irak- agonisaient. Le Shah et Saddam Hussein fêtaient leur victoire. La Turquie les félicitait. Une immense déprime s’abattit sur la nation kurde. □
Left Dr. Ismet Sherif, Jamil Miho, Abdullah
Isshaki, Beirut 1962 summer.